Né en 1959, près de Gruyère en Suisse romande, son horizon est hachuré par les
calcaires des Gastlosen, les « petites Dolomites ». Dès l’enfance, il aiguise
ses crampons sur les faces nord et entre à quinze ans dans le sérail, à
Chamonix où le jeu consiste à répéter en plus vite ce qu’ont fait ses
illustres prédécesseurs. Il connaît son 7e degré de Messner sur le bout des
doigts, dévore les grandes parois dans Rébuffat et Bonatti, sort Major de sa
promotion de guide à 21 ans, enchaîne les solos et rend hommage à Hermann Buhl
en choisissant le Nanga Parbat, son premier 8000.
Lorsqu’il l’a rencontré, à la gare de Lausanne, en 1995, Charlie Buffet a vite
décelé dans ce petit homme d’un mètre 65, la classe d’un grand. Erhard Loretan
rentrait du Népal, il venait de terminer son quatorzième 8000, le
Kangchenjunga, comme une plume, avec pour tout bagage des barres de chocolat,
une fiasque de sirop d’abricotine. Un sac léger, pour un aller-retour
fulgurant. Loretan est un artiste, minimaliste. Il confirme le principe de
Lachenal : « Moins on passe de temps en montagne, moins on prend de risque ».
« Les huit mille, c’est comme les cacahuètes, on ne devrait jamais commencer
», dira-t-il dans un grand rire, sa parade à l’ingérence des hommes. C’est que
le géant suisse est un taiseux. Il ne cherche ni à s’épancher, ni à éblouir.
Il fait de la montagne pour le plaisir et sa capacité à accepter la
souffrance. Elle sera mise à rude épreuve en 2001. Son petit garçon meurt,
victime du « syndrome du bébé secoué ». « Trois petits coups, fermes et forts
», dira le juge mais seulement trois petits coups pour lesquels Erhard sera
condamné. Tous les parents connaissent des gestes d’impatience mais ils n’ont
heureusement pas tous la force des alpinistes. Charlie Buffet ne le verra
plus. Loretan, entraîné dans une chute à ski avec sa compagne termine sa vie
le jour de son anniversaire, à 52 ans, au bord d’une crevasse. Il n’a pas vécu
longtemps. Ne dit-on pas que les hommes de génie sont des météores destinés à
brûler pour éclairer leur siècle ?